Prologue sur la ville

     Crânes ou tours, bestiaire surprenant, la peinture de Josef Wagner vous paraît-elle s'être échappée de son Europe Centrale ? Je le souhaiterais presque car ce serait une occasion d'y retourner ensemble pour faire une petite escapade liminaire dans une ville aimée :

     Prague

     Voyez, au long de ses ruelles, comment ce qui peut vous sembler étrange dans une oeuvre devient ici beaucoup plus familier. Trois ou quatre heures de visite devraient vous en convaincre, le temps de découvrir le grand tombinoscope du triforium de Saint-Guy, l’histoire d’un moine voleur d’hosties “condamné à tourner décapité dans le cloître d’Emmaüs” [1] et vous n’aurez même pas besoin d’y ajouter un putto déluré réduit à une tête pour en conclure que celles de Wagner ne font que compléter cette lignée de paroissiens déconcertants que Mario Pasa appelle "les créatures de Prague” [2], "une collection de citoyens magiques” [3] disséminés aux quatre coins d’une ville.

     Les écrivains en ont promu un certain nombre :

     “La littérature pragoise du XIXe siècle ne manque pas de personnages errants, talonnés par d’obscures culpabilités. Ces ingrédients de l’angoisse ont largement  contribué  à  forger l’expression Prague, « capitale magique de l’Europe » - attribuée à André Breton... parmi beaucoup d’auteurs. « Magique » renvoie surtout aux alchimistes du XVIe siècle et aux écrivains tourmentés des XIXe-XXe. Or il est d’autres citoyens insolites, des « créatures » qui ne sont pas faites de chair et de sang, à dénicher dans un coin de rue, d’église, de roman, de légende ou de mémoire. Elles pullulent même, et le pragophile peut sillonner la ville entière pour les traquer, de vieux livres  à la main.” [4] 

     Ces personnages étranges, qui font de Prague "un cabinet des curiosités aux dimensions d’une ville” [5] sont ici à demeure qui semblent avoir survécu à toutes les fureurs d'une histoire : enseignes, atlantes, ex-voto, ce sont autant d’esprits à mi-hauteur.

     Les changements intervenus en 1990 ne les ont pas vraiment surpris et le regain d'activité qui a suivi n'a pas changé grand chose à leur travail. Ils continuent de surplomber le grand flux touristique avec, pour seul blason, le plus troublant de tout ce qu'une histoire d'Europe aurait choisi de concentrer ici comme traces ailleurs détruites et c’est comme une surprenante extraversion de la cité ou, mieux, un musée à l'air libre de l'inconscient européen, le contraire d'un oubli normal :

     "Parmi ces créatures, les statues restent les plus faciles à croiser [...].

     Mais [...] parmi les « Pragois magiques », il n’y a pas que les saints de grès venus scander le pont Charles de leurs spasmes irréversibles. Ici un spectre, là une poupée, ailleurs un squelette de saint...” [6]

     Avec le temps, chacun de ces étranges personnages est devenu le bienfaiteur de sa rue et c'est sans crainte que vous pourrez passer des têtes aux animaux, avec tout un bestiaire dans lequel vous entraîne une visite de la ville. Nerudova, l’artère principale de Malá Strana, vous mène ainsi du triforium de Saint-Guy, avec son buste de Charles lV, aux aigles impériales de Matyáš Bernard Braun (palais Thun-Hohenstein). D’austères et imposants rapaces ! La pierre semble en avoir éternisé la pause, un immuable orgueil. Figés dans les noirceurs infligées par les ans, elles "enserrent le porche de leurs ailes puissantes et pointent le bec vers les intrus”. [7]

     De la maison gothique dite Aux Deux Ours d'Or à tous ces lions héraldiques de Bohême, c'est une part de nous-mêmes que Prague invente de nous rendre et vous vous surprendrez à regretter certains, plus éphémères, tel ce tigre empaillé qui trônait à la fin du 19e “dans la vitrine du fourreur Prochazka, Au Tigre, rue Ferdinova, aujourd’hui Nationale. Son propriétaire le louait pour des bals masqués, tant il était populaire chez les Pragois, au moins aussi célèbre que le cheval de Wallenstein”. [8]

     Mario Pasa rappelle encore que, “vers la même époque, la chambre de commerce de Prague avait fait construire pour l'une de ses expositions un éléphant gigantesque. Son ventre abritait une brasserie et l'on pouvait aussi monter dans sa tête” [9], un pachyderme assez inoubliable que certains tenteront de faire renaître, durant l'été 92, sous l'aspect imprévu d'une Trabant montée sur pattes ! De quoi se consoler avec une bonne carpe que l’on retrouve sur les panneaux de Richard Luksch, rue Kaprova.

     Si l’animal est une façon assez joyeuse d’aborder Prague “Les bonnes et mauvaise  têtes” [10] en sont une autre, qui nous renvoie aux temps les plus cruels de son histoire :

     “Les   premières  représentantes d  nos têtes en tous genres furent « décollées » de suppliciés le 21 juin 1621 [...]. Après la Bataille de la Montagne Blanche et l'écrasement des États protestants de Bohême par les impériaux catholiques en Novembre 1620, une répression de très grande ampleur s’ouvrit à Prague avec la décapitation, sur la place de la Vieille Ville, de vingt-sept organisateurs du soulèvement. Parmi ces dix nobles et dix-sept bourgeois figurait Jan Jessenius, recteur de l'Université.” [11]

     Têtes up and down :

     “Sa tête (celle de Jan Jessenius) compta ensuite parmi les douze fixées à la tour du pont de la Vieille Ville, six regardant vers le fleuve et six vers l'église Saint-Sauveur. Le bourreau prit soin de poser sur le chef de Jessenius sa langue tranchée, comme il le fit aussi des mains de deux autres suppliciés.       

     Onze de ces trophées humains devaient rester exposés là pendant dix ans, certes à la merci des corbeaux, mais trônant comme des reliques - ironie du sort pour les réprouvés - parmi les statues de saints patrons de Bohême, de Charles IV et de son fils Venceslas IV. De retour à Prague avec les envahisseurs anglo-saxons, les émigrés protestants les décrochèrent enfin et les inhumèrent en grande pompe à Notre-Dame-du-Tyn. En 1766, on mit effectivement au jour dans cette église une bière contenant onze crânes, mais la tradition populaire continua à raconter comment, un peu avant le départ des Saxons en 1632, ces reliques de la liberté mutilée avaient été cachées à l'église Saint-Sauveur et retournaient chaque année sur la place de la Vieille Ville où quatre épées s'étaient usées à les trancher.” [12]

     Du crâne avec l'histoire, donc, et ces multiples têtes qui appartiennent aux statues :    

     "Toutes fixent aujourd'hui encore le visiteur de leurs yeux de pierre... à l'exception d'une seule. Ce visage caché, refoulé des Pragois, appartenait à la statue colossale de Staline, détruite au début des années soixante. On dit la tête reléguée dans une église désaffectée - « on ne visite pas » -, comme oubliée dans un temple dont la religion ne serait plus pratiquée... [...].  

     A l'opposé du banni, la tête dite du « Barbu » fait partie des mascottes de Prague. Elle ornait déjà le pont Judith du Xlle siècle, avant de se retrouver sur le pont Charles. Jadis, elle servait d'indicateur de crues et, si les flots la noyaient, alors ils inondaient la rive droite de la Vltava. L’original de ce Zouave pragois, très grêlé par l’eau et le temps, prend aujourd'hui un repos mérité au musée de la ville.” [13]

     Chacun son zouave, à défaut d’autres crânes pour tous ! Mais la présence de ces derniers dans l’œuvre de Wagner, ne se résout-elle point après ce petit tour à Prague, de même que l’existence d’un bestiaire ?

     Apparemment, il suffirait de continuer à visiter une oeuvre comme un quartier supplémentaire de la ville et, dans cet ordre, je vous parie une aile de l'ange (qui ne chuterait point !) qu'après deux bières inoubliables devant une sculpture du grand Matyáš, le visiteur trouvera tout à normal de trinquer du regard avec un écorché en face d’un tableau comme Portrait de Profil [14], dernière émanation, se dira-t-on, d'une première dissection publique que Jessenius  avait organisée en l'an 1600. Et l'on regardera comme un fait ordonné à cette histoire qu'un peintre, en son bestiaire, continue de figer les animaux sur toiles depuis certaine vogue de la taxidermie, il y a un peu plus d’un siècle.

     Avec un tel passé, il deviendra banal, chez Wagner le Pragois, qu’un Homme sans espoirs [15] emprunte son allure à celle d’un robot, mot introduit par le grand écrivain Karel Čapek [16] (de robota, en tchèque, qui signifie corvée). Et, pour finir, le tout bien survolé aurait, comme Prague, la forme de la tête du Golem [17]. Une oeuvre secrètement influencée par la tradition juive du rabbin Löw [18] utiliserait les pigments de l’argile d'un fleuve, dont Wagner nous confie[19] qu'il fut son royaume après-guerre.

     Entre le peintre et la cité, il y aurait symbiose, un prêté par la ville rendu par un artiste. Banlieue [20], Prague 7 [21] ou Holešovice (District de Prague) [22], qui accréditent cette idée d’une correspondance, nous montrent, chez Wagner, que la Cité dorée n’est jamais loin. Elle est présente à chaque étape comme un site antérieur à l'oeuvre qui  lui rend hommage. Pour autant, soutiendra-t-on que tout tableau serait un pur écho de Prague et de ses bulbes ? On s’y perdrait. A preuve... ces Têtes en peinture qui ne manqueront pas de retenir votre attention. Comment défendre qu’un peintre serait ici celui qui tente d’égaler certaine outrance de sa ville ? Les tableaux risqueraient de s'affadir aux yeux de qui se souviendrait que l'on pût rencontrer à Prague, en une fin de 19e un peu Huysmans [23], des boutiques où trouver, en bocaux, rien moins Ainsi, têtes et Têtes, quand même, et fin de ce petit prélude car c'est en France que Joris-Karl Huymans trouva de quoi écrire Là-Bas [25], des jeux de rôles assez douteux qui se déroulent du côté de Châlons en Champagne.

     Têtes de Prague et Têtes de Wagner ? Il y aura toujours comme une rime de naissance entre un peintre et la Ville dorée, mais le scabreux n’inspirera aucun tableau et, devant l'oeuvre de Wagner, il nous faudra d'abord cesser d'imaginer qu'elle serait le produit typique de ces « Carpates élargies » qui servent trop souvent à nous représenter ce qui nous vient de l'Est, d'autant qu'on ne peut plus le rubriquer comme « bloc ».

     Ce portulans douteux nous masque le trajet qui fut celui d’un peintre. Cette ville adorée qu’il nous déclare apercevoir par la fenêtre, qu’il peint comme s’il était toujours en haut dans l’atelier, rue Jateční, ne figure sur aucune carte, ironie éclatante de cette Grande carte jaune [26], et, dans la voie qui fut la sienne, bien avant ce tableau de 1975, les choses sont plus simples. Nous pouvons distinguer comment émerge un désir résolu de peindre et ce qu’il en advient, après 1968, quand un artiste demeure à Prague. Disons qu'il choisit d'y rester plus longtemps qu'il n'a paru souhaitable à d'autres et, dans ce temps qu'un peintre souverain consent à s'accorder, qui n'aperçoit déjà, Têtes et Crânes, moulins ou animaux, ce qu'un tableau va réussir à maintenir dans la cité désespérée ? Rien d'autre, à cette époque, que ce qu'elle perd : ses couleurs ! Nous les retrouverons dans l’oeuvre de Wagner qui va les réfugier sur toiles. Elles pourront y attendre d’être à nouveau comme elles redeviendront après décembre 1989 : ce qu'une promenade dans Prague ne saurait oublier.   

     Je voudrais retracer l'histoire de cette affirmation multicolore qui surgit au milieu de la grisaille, dans la foulée de ce que l'on pourrait nommer, avec l’Histoire, le double trait tiré sur la septième puissance avec ces maudits 1938 et 1948 (modifié 68), où s’abîmèrent les rêves de la première République tchécoslovaque. Elle avait débuté en 1918. Encore un 8, dont beaucoup pensent, en Pays tchèques, qu’il est la marque des grands bouleversements [27].       

      Louis Mossot                                              

Notes

[1] - Marie-France Arlon, Mario Pasa, Prague, La ville dorée, éd. ACR, 1992, Une collection de citoyens magiques, p. 176.

[2] - Ibidem, p. 178.

[3] - Ibidem, p. 176.

[4] - Ibidem, p. 176.

[5] - Ibidem, p. 178.

[6] - Ibidem, p. 176.

[7] - Ibidem, p. 192.

[8] - Ibidem, Un bestiaire de bronze et de poils, p. 180 et 182.

[9] - Ibidem, p.182.

[10] - Ibidem, p. 182.                                                  

[11] - Ibidem, p. 182.

[12] - Ibidem, p. 182.

[13] - Ibidem, p. 182 et 183. Cf., également : Prague, cœur de l’Europe, texte de Bohumír Mráz, postface de Pierre-André Touttain, éd. Aventinum, p. 15.

[14] - Josef Wagner, Portrait de profil [Portrét z profili], huile sur toile, 51 x 51 cm, 1979.

[15] - Josef Wagner, Homme (sans espoir) [Muž (bez neděz)], huile sur toile, 133 x 73 cm, 1985-1986.

[16] - Karel Čapek (1890-1938), un des plus célèbres écrivains tchèques : “Ses romans (La fabrique d’Absolu) et ses pièces de théâtres (R.U.R. [Rossum’s Universal Robots], 1920), où apparaît pour la première fois le mot « robot », dénoncent la soumission de l’homme à ses propres créations scientifiques et techniques.“ (Le Larousse des noms propres)

Le mot « robot » a été tiré du tchèque robota « travail » et spécialement « travail forcé, corvée ». Ce mot est issu du vieux slave rabota (russe robot’) dont le premier sens est « esclavage »“. (Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française, Sous la direction d’Alain Rey)

On écrit souvent que Karel Čapek est l’inventeur du mot « robot » mais, aux dires de Karel Čapek lui-même, la paternité en reviendrait à son frère Josef avec qui il a travaillé. Karel Čapek aurait quant à lui préféré le mot « laboř ».

Josef Čapek (1887-1945) est un des grands représentants du mouvement cubiste tchèque. Peintre, caricaturiste, illustrateur, écrivain, il fut aussi rédacteur en chef de revue d’art, chroniqueur artistique.

Tous les Tchèques connaissent les frères Čapek, pour les avoir lus depuis leur plus jeune âge et parce qu’ils demeurent un symbole de la lutte anti-fasciste : En démocrate convaincu, Karel Čapek s’est toujours élevé contre le nazisme. Après les accords de Munich, il devint la cible des attaques de l‘extrême-droite pro-allemande. Il mourut le 25 novembre 1938.“ (INALCO, Exposition Karel Čapek, mars 2014, Extraits de Jiří Černý).

Josef Čapek s’engagea, comme d’autres intellectuels, et fut le fer de la lance de la critique de l’Allemagne nazie. Ses derniers cycles de peinture, Le feu et Le désir, sont des témoignages forts de la montée des périls. En 1939, il est arrêté par la Gestapo et passera six ans de camp en camp avant de mourir du typhus quelques mois avant la fin de la guerre“. Radio Prague, Faits et événements - Grande rétrospective de l’oeuvre de Josef Čapek, Anna Kubišta). Josef Čapek est mort en avril 1945 au camp de Bergen-Belsen, où disparut Anne Frank et sa sœur Margot Frank. Le Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme de Paris

[17] - Le Rabbin Löw est censé avoir utilisé l’argile de la Vltava pour créer son Golem et certains, complétant la légende, ajoutent que la ville de Prague aurait elle-même la forme de la tête du Golem. A propos du Golem, de l’origine de la légende, de sa version pragoise et de Gustav Meyrink (1868-1932), qui vécut à Prague mais dut quitter la ville (accusé d’occultisme) pour revenir à Vienne où il fit paraître son roman Le Golem (en 1915), cf., Marie-France Arlon, Mario Pasa, Prague, La ville dorée, éd. ACR, 1992, Des poupées aux robots, p. 200 à 204. Dominique Fernandez, Prague et la Bohême, éd. Stock, p. 13.

On peut également consulter l’ouvrage publié à l’occasion de l’exposition Golem ! Avatars d'une légende d'argile présentée au musée d'art et d'histoire du Judaïsme à Paris (mahJ, https://www.mahj.org/) du 8 mars au 16 juillet 2017).

Le site web de l’Arche (larchemag.fr) propose, en liaison avec la précédente exposition, un texte de Steve Krief, Le Golem, entre le passé et le futur (4 avril 2017).

[18] - Rabbi Löw, Lœwe ou Löwe, de son vrai nom Juda Lœw ben Bezalel (en hébreu : Yehouda Levaï ben  Betzalel) dit le Maharal (par abréviation de l’hébreu Morenou HaRav Lœw, « notre maître / enseignant le rabbin Lœw »), né en 1512 ou 1520 et mort à Prague, le 17 septembre 1609. On peut voir sa tombe dans le vieux cimetière juif de Prague et une imposante statue (réalisée par Ladislav Šaloun en 1910) lui est dédiée, qui orne l’angle sud-ouest de l’hôtel de ville de Prague.

[19] - cf., Josef Wagner, Souvenirs : “Comme tout enfant, je percevais à mon insu les autres impulsions venant du monde : sonneries de tramway, fracas d’usines toute proches, odeurs des abattoirs mais, avant tout, la vue par la fenêtre et les bruits de la ville, la présence du fleuve, les navires acheminant le charbon, les bacs et les embarcations de pêche, les plates-formes piscines, le port et ses grues.[...] La guerre finie, nous, garçons, avions pris l’habitude de trouver les restes d’engins meurtriers : armes et munitions jetées dans le fleuve, amas d’épaves de véhicules blindés, bric-à-brac d’insignes, de décorations militaires, montagnes de débris de verre, de douilles... Voilà ce qui servait de cadre à notre vie scolaire. Celle-ci poursuivait son rythme quotidien. D’un côté, les devoirs et les obligations, cahiers et manuels apportant de nouvelles valeurs, de l’autre, foot dans la rue, hockey sur la rivière glacée ou au stade. En été, baignade dans la Vltava, déjà assez sale !“

[20] - Josef Wagner, Banlieue [Předměstí], huile sur toile, 44 x 58 cm, 1963, ou Banlieue (XVI), huile sur toile, 55 x 65 cm, 1997. Les trente-quatre ans qui séparent ces deux œuvres nous montrent que josef Wagner est d’abord un artiste qui est resté fidèle à sa banlieue de Holešovice, (district de Prague), où il a vu le jour et passé son enfance. Son père, le sculpteur Josef Wagner (1901-1957) - qui portait donc le même prénom - avait repris l’atelier du sculpteur Otto Guttfreund (1889-1927) après la mort de ce dernier, atelier qui se situait précisément rue Jateční, à proximité du port de Holešovice et de la Vltava. Cela explique déjà le grand nombre de tableaux, dessins et eaux fortes qui titrent Banlieue [Předměstí], Holešovice, Souvenir de Holešovice [Vzpomíka na Holešovice] ou Maison isolée en banlieue [Osamělý dům]. Quant à l’amour qu’un peintre cynophile pût éprouver envers les animaux, on le mettra ici en relation avec le fait que cette Maison isolée en banlieue se trouvait rue de l’Abattoir (Ulice Jateční). Assez pour prendre leur défense (Nezastřelené zvíře / N’abattez pas les animaux, huile sur panneau, 100 x 70 cm, 1990, ou Sauvetage d’animal / Sauvetage d’animaux [Záchrana zvířete], huile sur toile 150 x 100 cm,1985),même s’il est question d’adopter leur Système de défense (cf., Hérisson [Ježek], huile sur toile, 57 x 81 cm, 1981-1982 ou Porc-épic [Dikobraz], huile sur toile, 75 x 90 cm, 1990).                                       

[21] - Josef Wagner, Prague 7 [Praha 7], dessin en couleur à la plume, 48 x 63 cm, 1980.

[22] - Josef Wagner, Holešovice (District de Prague) [Holešovice (Část Prahy)], dessin en couleur à la plume, 63 x 48 cm, 1980.

[23] - A la fin du XIXe siècle, “le paysage littéraire de Prague est marqué par les multiples influences extérieures. La pensée philosophique allemande de Nietzsche et de Schopenhauer a inspiré tous les écrivains et les artistes de la fin du siècle, en imposant le refus du scientisme, la vision pessimiste du monde, ainsi que la place de l’irrationnel et de l’instinct dans la nature humaine.“ [...]

“L'influence française, elle, a été capitale, non seulement dans les milieux tchèques mais aussi dans les milieux allemands, souvent francophiles. Kafka et Brod ont eu la passion de Gustave Flaubert, surtout de L'Éducation sentimentale qu'ils ont lue en français - Kafka rêvait même d'en faire une lecture publique. Si le naturalisme de Zola a été un modèle pour la génération précédente, celle de Mrštik, c'est le mouvement décadent, né en France avec Joris-Karl Huysmans, qui a trouvé un large écho dans la Prague de la fin du siècle. Avec le personnage du dandy des Esseintes, ennemi du naturalisme et de toute forme d'utilité sociale, dans À rebours (1882), et la reprise de la tradition de l'ésotérisme mystique, du surnaturel et de l'étrange, en rupture totale avec le scientisme, dans Là-bas (1885), Huysmans semble à l'origine des deux courants, décadence et occultisme, participant au vaste mouvement symboliste qui englobe la littérature et les arts plastiques de la fin du siècle.“ (Bernard Michel, Prague, Belle Époque, 4 - Décadence et occultisme) 

[24] - Marie-France Arlon, Mario Pasa, Prague, La ville dorée, p. 182.

[25] - Joris-Karl Huysmans, né Charles Marie Georges Huysman (1848-1907), écrivain et crique français, auteur du roman Là-bas (1891).

Défenseur du naturalisme à ses débuts (Marthe, histoire d’une fille, Les sœurs Vatard, Sac au dos, En ménage), il se lie d’amitié avec Émile Zola, dont il prend la défense dans un vibrant article consacré à son dernier roman, L'Assommoir. En publiant À rebours en 1884, Huysmans rompt brutalement avec l'esthétique naturaliste pour explorer les possibilités nouvelles offertes par le symbolisme, et devient le principal représentant de l’esthétique fin de siècle. Dans la dernière partie de sa vie, il se convertit au catholicisme, renoua avec la tradition de la littérature mystique et fut ami de l'abbé Mugnier.“ (PhDr Wikipedia)

[26] - Josef Wagner, Grande carte jaune [Velká žlutá mapa], huile, émail et plume sur toile, 130 x 81 cm, 1973. Du côté cartes, on trouve aussi : Carte jaune [Žlutá mapa], huile sur toile, 25 x 40 cm (1973), et Grande carte bleue [Velká modrá mapa], huile, encre et peinture aérosol sur toile, 150 x 140 cm (1973).

[27] - cf., Antoine Marès, Histoire des pays tchèques et slovaques, éd. Hatier, p. 350. Dominique Fernandez, Prague et la Bohême, éd. Stock, p. 13 : “1848 : insurrection patriotique, durement réprimée. Vingt ans de démocratie et de libertés, entre 1918 et 1938. Puis la fatalité de ce chiffre 8. 1938 : les accords de Munich livrent la Tchécoslovaquie à Hitler. 1948 : les communistes prennent le pouvoir à Prague. 1968 : les chars russes écrasent le timide printemps libéral.“

A cette table des 8 historiques, nous pourrions ajouter le célèbre Groupe des Huit (Osma Skupina), qui regroupait des artistes tchèques et allemands. Les Huit se présentèrent au public par le biais d’une exposition indépendante organisée dans “une boutique, louée en toute hâte dans une maison qui venait à peine d’être construite rue Králodvorská (non loin de la tour Poudrière(...). Le catalogue était une simple feuille de chou intitulée : Výstava 8 Kunstausstellung (exposition en tchèque et en allemand). Même l’avertissement « on peut obtenir les prix des tableaux à la caisse » était rédigé dans les deux langues. Cet étrange bilinguisme n’était pas un hasard. Il avant tout en relation étroite avec les exposants dont quatre étaient tchèques : Filla, Kubišta, Procházká, Kubín et trois allemands : Nowak, Horb, Feigl. Par cette présentation tchéco-allemande, les Huit constituaient une exception dans la vie artistique pragoise de cette époque Les opinions artistiques étaient plus importantes pour ces jeunes artistes que les problèmes nationalistes, alors si puissants en Bohême. Bien que l’en-tête du catalogue ait comporté le chiffre 8, sept peintres seulement exposaient : il fallait demander à voir les tableaux de Pittermann, placés « derrière un rideau dans un réduit ». Étudiant à l’Académie des beaux-arts, il n’était pas autorisé à exposer ses toiles.“ (Cubisme tchèque, Miroslav Lamač, avec les contributions de Jean Claverie, Raymond Guidot, Ivo Janoušek et Milena Lamarová, éd. Centre Georges Pompidou-Flammarion, 1992, p.42).

- Osma a Skupina výtvarných umělců, 1907-1917, Miroslav Lamač, Odeon 1988.

- Osma a Skupina výtvarných umělců, 1907-1917, Teorie, kritika, polemikatextes de Jiří Padrta, Miroslav Lamač, Karel Srp, Odeon, Prague 2005, ISBN 80-207-0404-3

 

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