Gothique tardif

Josef Wagner, Cathédrale du XXe siècle (I), huile sur toile, 115 x 155 cm, 1993.

Un gothique flamboyant où le cintre joue encore son rôle.

 

     Josef Wagner était un grand amateur de gothique, un style bien connu des Pragois. La raison : un certain Charles IV de Luxembourg (1316-1378), qui accéda au trône de Bohême le 2 septembre 1347.

     Du Gothique, ce nouveau roi était parfaitement informé. Neveu par alliance du roi de France Charles IV dit « le Bel » (1294-1328)[1], il en fut assez tôt le protégé et, de l’âge de 7 à 14 ans, vécut en France où le style gothique était déjà largement répandu.

     En 1355, le roi Charles IV de Bohême est consacré empereur du Saint-Empire romain germanique. Il doit élire résidence : “Pourquoi, se dit-il, camionner et transbahuter ? Puisque roi de Bohême je reste en même temps qu’empereur je deviens, ce sera Prague”  [2], que Charles IV décide aussitôt d’embellir et comme, par ses liens familiaux, le gothique lui est familier, il agrandit la ville, en crée une nouvelle (Nové Město), attenante à l’ancienne (Staré Město), prolonge les remparts, fonde l’Université de Prague et fait ériger ce qu’il faut d’édifices gothiques. En un tour de règne, Prague devient la ville gothique la plus importante d’Europe.

     La cité d’aujourd’hui en a hérité avec, qui demeurent ses hauts lieux : la cathédrale Saint-Guy (dont la construction dura six siècles), Notre-Dame du Thýn (et ses 80 mètres de hauteur), la Maison à la Cloche de Pierre, l'église inachevée Notre-Dame-des-Neiges (dont la taille devait, selon les directives de Charles IV, dépasser celle de la cathédrale), la Synagogue Vieille-Nouvelle, le couvent Saint-Agnès ou la tour gothique du Pont Charles.

     Toutes ces richesses intéressaient au plus point un peintre, qui jamais n’oubliait qu’il était architecte. 

     Comment aurait-il pu ? En promenant Láry, son affectueux berger allemand, sur les hauteurs de Petřín, Láry (1982-1996) et, par la suite, Néron, un épagneul breton nîmois [3], qui exerça tout aussi vaillamment le pouvoir olfactif de sa truffe près du Mur de la Faim [4], un célèbre rempart à créneaux doté de bastions, que Charles IV avait en son temps fait bâtir pour protéger, à l’ouest, le « petit côté » de la ville (Malá Strana) et le quartier de Hradčany, où se trouvent le château de Prague, la cathédrale Saint-Guy, le monastère plus ancien de Strahov et la maison baroque de Wagner dont la cave est d’époque gothique ?

     Quand, après la Révolution de Velours, Josef Wagner peut enfin visiter la France, il est par conséquent totalement exclu de ne pas s’arrêter sur le trajet à Laon pour visiter la cathédrale, quitte à dormir dans un fossé pour rêver au plus près des gargouilles et des arcs-boutants envoûtants. C’est respecter l’ordre chronologique et commencer primitivement par du primitif, dont la Bohême est privée.

     A cet engouement pour le style gothique s’ajoutait une passion pour la Grèce, deux amours déclarées sur le mode d’une idylle œdipienne de taille à réjouir un psychanalyste autrement impassible :

     “Mon rapport à la Grèce est clair : la Grèce, pour moi, c’est le père, l’harmonie absolue […]. Puis il y a la France, qui est pour moi la mère. C’est le monde des cathédrales gothiques, la sensibilité, l’exaltation totale, les tours, la sculpture… Et quand je rentre à la maison, il y a la peinture gothique, le Maître du retable de Třeboň [5], le Maître de Vyšší Brod [6], la sensibilité qui se trouve dans leurs œuvres [7].

     La Grèce fut d’abord un rêve, auquel un peintre avait dû renoncer. Inaccessible, doublement abîmée par la disparition d’un père et le voyage pour s’y rendre à l’époque impossible, elle s’est retrouvée effacée des tableaux. Le marbre blanc et les carrières du Pentélique, où, avant-guerre, Josef Wagner père était venu sculpter la « pierre resplendissante »[8], n’étaient plus qu’une série de photos jaunies par le temps.

     Mais il y eut un 1988, pour devancer 89, et Melina Mercouri [9], alors Ministre de la Culture de Grèce, qui décida d’organiser la grande exposition d’Athènes.

     Quand, toutefois, après la Grèce et les voyages en France, un fils “rentre à la maison”, demeure ce qu’il y aura toujours : le gothique, la peinture et des cathédrales :

  • Cathédrale, huile sur toile, 106 x 70 cm, 1990.
  • Cathédrale du XXe siècle (I), huile sur toile, 115 x 155 cm, 1993.
  • Cathédrale du XXe siècle (II), huile sur toile, 155 x 115 cm, 1993.
  • Détail de la seconde cathédrale du XXe siècle, huile sur toile, 90 x 97 cm, 1993. 
  • Détail du détail de la cathédrale du XXe siècle, huile sur toile, 100 x 80 cm, 1993.

         Plus tard, Wagner s’occupera du personnel :

    • Son Éminence l'Archevêque, technique mixte sur bois, 70 x 50 cm, 2002.
    • Jeune cardinal, technique mixte sur carton, 76 x 50 cm, 2002.
    • Abbé J. P., huile, tôle de laiton, acier, carton sur toile, 70 x 50 cm, 2002.

         Du personnel et de leur chef :

    • Pape et cardinal, technique déclarée mixte sur toile, 50 x 70 cm, 1998.
    • Pape, technique mixte sur toile, 50 x 70 cm, 1998.
    • Tête de pape, technique mixte sur toile, 30 x 45 cm, 1998.
    • Tiare du pape Wojtyla, assemblage, huile, asfalte, cire, objets métalliques, 82 x 56 cm, 2002. 
    • Le trône du pape, technique mixte sur toile, 30 x 50 cm, 1998.

         Un pape qui, en tant que monarque absolu et représentant du Saint-Siège, a bien sûr qualité pour rencontrer le général Franco ou Sa Majesté la Reine d’Angleterre. La preuve :

    • - Le Pape et le Caudillo, technique mixte sur toile, 50 x 70 cm, 1998.
    • - Le pape et la Reine d’Angleterre, technique mixte sur toile, 50 x 70 cm, 1998.

    Notes :

    [1] - Le roi de France Charles IV dit « le Bel » (1294-1328) avait épousé Marie de Luxembourg (1304-1324), sœur de Jean Ier de Bohême dit « l’Aveugle » (1296-1346), roi de Bohême et comte de Luxembourg, qui était le père de Charles IV de Luxembourg (1316-1378), roi de Bohême et empereur du Saint-Empire romain germanique.

    Josef Wagner (père), Charles IV (détail), gypse, h. 190 cm, 1950-1953, Carolinum, Prague. Cf. Jaromír Pečírka, Josef Wagner, N.č.v.u., Praha 1959, reprod. n°39 ; Jan Marius Tomeš, Sochař Josef Wagner, Odeon, Praha 1985, p. 152 et 153.

    Pour les Tchèques, Charles IV demeure le symbole d’un âge d’or de la Bohême et l’architecture le vecteur de sa gloire avec le pont Charles de Prague (que le souverain a fait construire), l’université Charles (qu’il a créée), le Carolinum (qui en est devenu le siège) et, à 25 km au sud-ouest de la ville, le château fort de Karlštejn, qui servit de résidence impériale.

    [2] - Source inconnue. Mais peut-être trouvera-t-on quelque chose de cet ordre (qui concerne “la représentation de la majesté du souverain“) en consultant l’autobiographie de Charles IV (Vita Caroli), son recueil de moralités (Moralitates) ou les études de Jan Vojtíšek et Václav Žůrek (Entre idéal et polémique. La littérature politique dans la Bohême des Luxembourg), Flaminia Pichiorri (L’autobiographie de Charles IV, Essai d’analyse lexicale), Pierre Monnet (Charles IV, un empereur en Europe) et František Šmahel (Le voyage de Charles IV en France).

    [3] - Josef Wagner aimait les chiens et ce qu'il préférait dans le chien, c'était la tête, bien sûr (cf. par exemple : Tête de chien XIX, huile sur toile, 40 x 25 cm, 1992 ; Tête de chien XII, huile sur toile, 20 x 40 cm, 1992). Láry, le premier chien de Wagner, est mort de rire pendant une pause. Une pause, entre deux poses : il n'a pas supporté. Chien mort (dessin à la plume et encres de couleurs sur papier Ingres, 1997) est la seule œuvre nous montrant ce brave canidé. La raison ? Quand Wagner essayait d'installer l'animal sur un tabouret d'atelier pour en faire ne serait-ce qu'une esquisse, le rebelle décampait aussitôt chercher sa laisse pour aller faire un tour sur la colline de Petřín.

    Tête de chien XIX, étude préparatoire, dessin au pinceau à l'huile sur papier, 21,5 x 29,5 cm, 1992

    [4] - « Le Mur de la Faim (Hladová zed’), appelé parfois le Mur denté ou le Mur du Pain, est une fortification de grès située sur la colline de Petřín, édifiée entre 1360 et 1362 par l'empereur Charles IV afin de renforcer les défenses du Château de Prague et du quartier de Malá Strana contre d'éventuelles attaques par l'Ouest ou le Sud. C'est en référence à la famine de 1361 que cette fortification reçut le nom de Mur de la faim. Il est probable qu'une partie des pauvres de la ville trouvèrent alors un moyen de subsistance en participant à son édification." (http://www.digital-guide.cz/fr)

    [5] - Le Maître de Třeboň : "Peintre tchèque (actif à Prague vers 1380-1390). Il appartenait au groupe d'artistes travaillant pour la Cour à Prague ; son chef-d'œuvre est le retable vraisemblablement destiné à l'église Saint-Gilles au couvent des Augustins de Třeboň (en allemand, Wittingau) et dont il ne subsiste que 3 panneaux : le Christ au mont des Oliviers, la Mise au tombeau, la Résurrection [...], tous trois ornés au revers de figures de saints et de saintes". (Larousse, Dictionnaire de la peinture). Ces trois panneaux sont aujourd'hui conservés au couvent Saint-Agnès de Prague où sont regroupées les collections d'art ancien du Moyen Âge en Europe centrale de la Galerie nationale de Prague (NGP).

    [6] - Le Maître de Vyšší Brod ou Maître de Hohenfurth est un peintre de Bohême (actif vers 1350). Le retable dont parle Josef Wagner est lui aussi exposé au couvent Saint-Agnès de Prague.

    [7] - Josef Wagner, propos extrait du film de Rudolf Adler Můj Parthenon jsou Holešovice (Prague, Česk. Televize, 1997).

    [8] - Le mot « marbre » est dérivé du grec marmaros, qui signifie « brillant », « resplendissant » (Dico du Cuicuistre, p. 3743)

    [9] - Sans Melina Mercouri, Ministre de la Culture de Grèce de 1981 à 1989, il n’y aurait pas eu l’exposition 172 œuvres de Josef Wagner (Athènes, janvier-février 1988). Le peintre ne l’oubliera jamais (cf. Tour pour Melina Mercouri, huile sur toile, 100 x 75 cm, 1994).