C'est notre tour d'y voir !
Josef Wagner, Tour-monument (Souvenir de Verdun), huile sur toile, 81 x 60 cm [1], 1992.
Tour-monument, mais aucun Fort Douaumont, aucune citadelle : ce "monument" ment comme il inspire ! Après tant de Fortification, de Mur de l'Atlantique et d’encore plus nombreux Système de défense, c'est vraiment se moquer, jouer un sale tour à ses plus fidèles supporters.
Le titre ? Un « grossier » camouflage qui laisse avant tout dépasser le bout d'autre chose. Avec une étoffe aussi transparente, le rideau est levé et voilà qu'apparaît un drôle de poilu sans poil coiffé d'un casque anglais [2], qui prend la poudre d'escampette. Poilant ! Il n'y a plus qu'un gland décalotté, comique, dévoilement du phallus [3] au lieu du tragique annoncé et, fin ultime de la pièce, catharsis, purgation du pathos et de l'affectation convenue qui entoure la moindre commémoration d'une Grande Guerre beaucoup mieux qualifiée de "montée du sabre au cerveau" par le grand écrivain Julien Gracq.
Souvenir de Verdun ou Tête de poilu avec, en guise de tour, le portrait-monument d'un soldat inconnu, d’un combattant discrètement ressuscité. Une vraie chance d’être tombé sur Wagner ! Le bonhomme est d’ailleurs très content, savoure épanoui la paix retrouvé et devient le symbole d’une guerre évanouie sans "parfum de métal" [4]. Aucun fracas, pas de peinture qui claironne. De la douceur, du calme avec ces verts pomme, fenouil ou cœur de laitue, du beige seigle. Le gris ? Du plomb qu’un tableau transforme sous nos yeux en bouleau argenté. Au loin, un ciel de sang presque oublié et, pour seules blessures devenues coquetteries, quelques touches d'orange papaye. “C’est un trou de verdure“ [5] et quelques pensées.
Les couleurs ne sont pas celles qu’un soldat hisse avant d'aller trouver la mort au front, mais celles de Josef le brave peintre Švejk qui, de tableau en tableau, transfigure un désastre : "La vie passe, triomphe tout de même, quoiqu'il arrive. Quand le héros comique trébuche, tombe dans la mélasse, eh bien, quand même, petit bonhomme vit encore.” [6]
Ah, comme l'herbe a bien repoussé sur le crâne enfoui qui l’amende !
Louis Mossot
Tourelle en batterie, Ligne Maginot.
Notes
[1] - Josef Wagner, qui voulait respecter l'ampleur du désastre avait prévu d'œuvrer sur 1914 par 1918 cm. Mais c’était un peu grand, et 14 x 18, trop petit.
[2] - Soyons réalistes : s'il s'agissait d'une trépanation, il n'y aurait pas cet arrondi intact du haut d'un crâne, qui ne présente aucun dégât fronto-pariétal exigeant urgemment craniotomie hémisphérique permettant d'enchâsser une calotte métallique qui ne ressemble pas nécessairement à une soucoupe volante en train de décoller.
[3] - Cf. à ce propos : Jacques Lacan, Le séminaire, Livre VII, L'éthique de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1986, p. 362.
[4] - L'expression est de Fritz von Unruh, dramaturge, poète et romancier expressionniste allemand, qui était aussi peintre.
[5] - Arthur Rimbaud, Le dormeur du val.
[6] - Cf. Jacques Lacan, op. cit..